"Le vingt et unième siècle sera un siècle de persécutions et de bûchers."
Lettre ouverte de François Cavanna aux culs-bénits
Lecteur,
avant tout, je te dois un aveu. Le titre de ce livre est un
attrape-couillon. Cette « lettre ouverte » ne s’adresse pas aux
culs-bénits. […]
Les
culs-bénits sont imperméables, inoxydables, inexpugnables, murés une
fois pour toutes dans ce qu’il est convenu d’appeler leur « foi ».
Arguments ou sarcasmes, rien ne les atteint, ils ont rencontré Dieu, il
l’ont touché du doigt. Amen. Jetons-les aux lions, ils aiment ça.
Ce
n’est donc pas à eux, brebis bêlantes ou sombres fanatiques, que je
m’adresse ici, mais bien à vous, mes chers mécréants, si dénigrés, si
méprisés en cette merdeuse fin de siècle où le groin de l’imbécillité
triomphante envahit tout, où la curaille universelle, quelle que soit sa
couleur, quels que soient les salamalecs de son rituel, revient en
force partout dans le monde. […]
O
vous, les mécréants, les athées, les impies, les libres penseurs, vous
les sceptiques sereins qu’écœure l’épaisse ragougnasse de toutes les
prêtrailles, vous qui n’avez besoin ni de petit Jésus, ni de père Noël,
ni d’Allah au blanc turban, ni de Yahvé au noir sourcil, ni de
dalaï-lama si touchant dans son torchon jaune, ni de grotte de Lourdes,
ni de messe en rock, vous qui ricanez de l’astrologie crapuleuse comme
des sectes « fraternellement » esclavagistes, vous qui savez que le
progrès peut exister, qu’il est dans l’usage de notre raison et nulle
part ailleurs, vous, mes frères en incroyance fertile, ne soyez pas
aussi discrets, aussi timides, aussi résignés !
Ne
soyez pas là, bras ballants, navrés mais sans ressort, à contempler la
hideuse résurrection des monstres du vieux marécage qu’on avait bien cru
en train de crever de leur belle mort.
Vous
qui savez que la question de l’existence d’un dieu et celle de notre
raison d’être ici-bas ne sont que les reflets de notre peur de mourir,
du refus de notre insignifiance, et ne peuvent susciter que des réponses
illusoires, tour à tour consolatrices et terrifiantes,
Vous
qui n’admettez pas que des gourous tiarés ou enturbannés imposent leurs
conceptions délirantes et, dès qu’ils le peuvent, leur intransigeance
tyrannique à des foules fanatisées ou résignées,
Vous
qui voyez la laïcité et donc la démocratie reculer d’année en année,
victimes tout autant de l’indifférence des foules que du dynamisme
conquérant des culs-bénits, […]
À
l’heure où fleurit l’obscurantisme né de l’insuffisance ou de la
timidité de l’école publique, empêtrée dans une conception trop timorée
de la laïcité,
Sachons
au moins nous reconnaître entre nous, ne nous laissons pas submerger,
écrivons, « causons dans le poste », éduquons nos gosses, saisissons
toutes les occasions de sauver de la bêtise et du conformisme ceux qui
peuvent être sauvés ! […]
Simplement,
en cette veille d’un siècle que les ressasseurs de mots d’auteur pour
salons et vernissages se plaisent à prédire « mystique », je m’adresse à
vous, incroyants, et surtout à vous, enfants d’incroyants élevés à
l’écart de ces mômeries et qui ne soupçonnez pas ce que peuvent être le
frisson religieux, la tentation de la réponse automatique à tout, le
délicieux abandon du doute inconfortable pour la certitude assénée, et,
par-dessus tout, le rassurant conformisme. Dieu est à la mode. Raison de
plus pour le laisser aux abrutis qui la suivent. […]
Un
climat d'intolérance, de fanatisme, de dictature théocratique
s'installe et fait tache d'huile. L'intégrisme musulman a donné le «
la », mais d'autres extrémismes religieux piaffent et brûlent de suivre
son exemple. Demain, catholiques, orthodoxes et autres variétés
chrétiennes instaureront la terreur pieuse partout où ils dominent. Les
Juifs en feront autant en Israël.
Il
suffit pour cela que des groupes ultra-nationalistes, et donc
s'appuyant sur les ultra-croyants, accèdent au pouvoir. Ce qui n'est
nullement improbable, étant donné l'état de déliquescence accélérée des
démocraties. Le vingt et unième siècle sera un siècle de persécutions et
de bûchers. […]