Yvan DROUMAGUET |
Selon les représentants des cultes religieux récemment reçus à l’Élysée, le chef de l’État leur aurait fait part de sa « vigilance » face au risque d’une « radicalisation de la laïcité », ajoutant que, si la République était laïque, la société ne l’était pas.
Le
terme de radicalisation est, depuis quelques années, familier et
désigne particulièrement un islam intégriste et extrémiste alimentant la
violence terroriste. Retour à de prétendues racines et à un fantasme de
pureté, ce fondamentalisme est un mélange de fanatisme et de
superstition.
Dans son Traité théologico-politique, Spinoza mettait déjà en garde contre la soumission à « ce qui n’est que la lettre et l’image de la parole divine ». Cette soumission qui abolit toute liberté du jugement, « ce n’est point là de la piété, c’est de la démence pure ».
Y
aurait-il donc un danger de radicalisation en ce qui touche la
laïcité ? Ce propos met sur un même plan des croyances religieuses et la
laïcité, confusion regrettable puisque la laïcité n’est pas une
croyance parmi d’autres mais un principe. C’est un principe républicain
inscrit dans la Constitution parce qu’inséparable de la liberté et de
l’égalité. Sous le titre Principes, la loi de 1905 dite de séparation
des Églises et de l’État énonce, dans son article 1er, que « la République assure la liberté de conscience ».
La
liberté de conscience est, d’abord, un droit à ne pas confondre avec la
seule liberté religieuse, le droit d’avoir ou pas une croyance
religieuse. Mais une conscience vraiment libre est une conscience qui
parvient à s’émanciper des contraintes, des préjugés et de l’obéissance
craintive aux traditions.
Laïcité « ouverte » et la laïcité républicaine
C’est
pour cela que le principe de laïcité exprime l’idéal des Lumières,
idéal politique de citoyens égaux et éclairés et idéal humaniste
d’individus exerçant librement leur faculté critique.
Parler de
radicalisation de la laïcité, c’est opposer à la laïcité républicaine
des Lumières, accusée d’être intolérante, une laïcité dite ouverte ou
apaisée. Cette dernière conduirait à des accommodements prenant en
compte les différences culturelles, notamment religieuses.
C’est
le sens de la distinction entre une République laïque et une société qui
ne le serait pas. En effet, dire que la société n’est pas laïque, c’est
la penser non en termes d’individus mais en termes de communautés,
c’est faire de la croyance non une affaire privée, de conscience, mais
un phénomène public. Cela conduit à faire de l’État une sorte d’arbitre
assurant la coexistence de communautés, un gestionnaire du pluralisme
religieux.
Cette laïcité « ouverte » est contraire aux principes
de la laïcité républicaine : la République ne reconnaît aucun culte et
renvoie donc les croyances à la liberté individuelle, la République ne
reconnaît pas des communautés mais des individus libres et égaux en
droits.
Si la loi interdit le port de signes religieux
« ostensibles » à l’école, ce n’est pas pour brimer ou humilier des
élèves mais, au contraire, par respect de leur liberté et de leur
dignité. En effet, l’école républicaine n’accueille pas des musulmans,
des chrétiens ni des juifs, elle n’accueille pas des communautés
religieuses, ethniques ou raciales mais des individus qui viennent
s’instruire. C’est là un principe d’égalité dans l’accès au savoir et à
l’autonomie du jugement.
Si vigilance nous devons avoir
aujourd’hui, c’est à l’égard de ce qui, en s’en prenant à la laïcité
républicaine, menace notre liberté.