Le monument aux morts de Dolus d'Oléron, l'un des trop rares monuments pacifistes de France |
Chaque
année à Dolus d’Oléron (Charente-Maritime) le nouveau Maire,M. Grégory Gendre (sans étiquette) choisit un thème pour commémorer l'armistice de la première Guerre mondiale.
Cette année il avait choisi la terrible offensive du Général
Nivelle et les mutineries qui s’en suivirent. Nombre de poilus
qui refusèrent en effet de monter au front furent conduits au peloton
d’exécution. Après un
discours consacré à ces sacrifiés Monsieur le Maire fit diffuser
« la chanson de Craonne. Les représentants des anciens
combattants ont alors quitté la cérémonie. Un maire qui rend hommage à des concitoyens victimes d'une injustice mérite autre chose que des gesticulations.
Le
discours de M. Grégory Gendre,
M. Grégory Gendre, Maire de Dolus d'Oléron |
« Les
anglais attaquent en premier le 9 avril entre Arras et Valmy. Le plan
Nivelle se met en place. Le 16 avril, plus au sud, après 9 jours de
préparation d’artillerie, un million de soldats français sont
massés sur un front de 40 kms. Le moral des troupes est au plus
haut. Après des mois dans l’horreur des tranchées cette offensive
de grande ampleur va permettre de rompre les défenses allemandes et
d’accélérer la fin de la guerre.
Le
jour J, les mauvaises conditions météo et la stratégie de repli
défensif des allemands conduisent à l’échec. A Loivre, la 5e
armée progresse mais s’arrête à la butte de Craonne, la 6e
atteint le Chemin des Dames sans pouvoir le dépasser. Dès le 20
avril, et malgré de nouvelles attaques jusqu’au 5 mai, l’offensive
du général Nivelle est stoppée. C’est l’échec et ce dernier
sera remplacé le 15 mai par Pétain.
L’énormité
des pertes dans les premiers jours et l’afflux considérable de
blessés ont rendu toutes les questions logistiques de flux
inopérantes. Les pertes journalières enregistrées par les troupes
d’assaut sont 2 à 3 fois supérieures à ce qui avait été vécu
pendant la bataille de la Somme. En quelques jours, plus de 100 000
poilus sont tués, blessés ou disparus. Le 162e RI ainsi
engagé dans le secteur de Mauchamp a vu ses effectifs fondre de 2510
à 1282 hommes en 6 jours : à ce rythme, la population de Dolus
aurait été décimée en 15 jours.
Dans
ce contexte, obligés de remonter au front trop vite, ayant vu leur
taux de permission se réduire, alertés par les échos de la
révolution russe, sensibilisés aux grèves à l’arrière,
souffrant trop de leurs conditions de vie, alertés par
l’impossibilité pour les syndicats français de se rendre à la
conférence de Stockholm pour espérer négocier une fin de guerre
rapide, les poilus se révoltent, se mutinent, se mettent en grève
des tranchées à Coulonges et Ronchères, Villiers-sur-Fère, Arcis,
Le Ponsart, Beuvardes, Ville-en-Tardenois, Ambleny, Mercin ou
Coeuvres.
Laissons
la parole à ceux qui ont été acteurs de ces moments pour tenter
d’en comprendre la dramaturgie.
Devant
la ferme de La Motte occupée par la 9eme compagnie du 109e,
les capitaine Malfré et Jean s’avancent vers les mutins et vont
parlementer avec eux. Les soldats leur disent :
« Nous
en avons marre. Voilà trois ans qu’on se fait casser la figure. La
dernière offensive n’a rien donné. On se fout de nous. Il y a
trop d’embusqués, qu’on les fasse venir. Nous voulons la paix.
Les allemands veulent aussi la paix. Le peuple ne veut plus se
battre. Oui nous aurons la paix en refusant de marcher. Vous avez de
l’argent vous les officiers, nous des briques. [….] Nous ne vous
en voulons pas, à vous officiers parce que vous souffrez avec nous
et vous êtes exposés aux mêmes dangers, mais les embusqués !
Et ces cons de députés, ces bourreurs de crane, ils se foutent de
nous. »
Cet
officier qui, dans le civil, est avocat et conseiller général, ne
se contente pas de décrire les événements dont il a été le
témoin. Il en donne l’interprétation :
« Que
le commandement veuille bien pénétrer l’âme du soldat français,
et qu’il se rende compte que les meilleurs de nos hommes ne
consentiront jamais à se battre contre des concitoyens. Il faut
qu’on le sache bien. Si de tels événements s’aggravaient, et si
le commandement, cédant à des conceptions qui ne s’adaptent plus
à la mentalité générale, croyait pouvoir en venir à de certaines
extrémités, il aurait de graves mécomptes. Beaucoup d’officiers
ne consentiront jamais, jamais, jamais à lancer leurs hommes contre
des soldats français et nos soldats refuseraient à exécuter un tel
ordre s’il leur était donné. Le commandement doit avoir d’autres
moyens. Commander, c’est savoir et c’est prévoir. [….]Quand
des faits de la nature de ceux qui se sont produits hier sont
possibles, c’est que le commandement a été en défaut. [….] Le
haut commandement, nos états-majors, vivent trop loin, beaucoup trop
loin de la troupe. C’est, en fin de compte, leur volonté qui nous
meut. Des ordres écrits, des notes, des papiers nous viennent d’en
haut, qui disposent de nous et façonnent notre existence. On n’a
pas assez la sensation de quelque chose d’humain et de vivant
au-dessus de nous. Le soldat ne peut pas aimer les chefs qu’il ne
connait pas. [….] Le chef ne fait marcher le soldat que s’il a su
se faire aimer de lui. Il n’y a pas d’autre moyen d’avoir son
cœur et son consentement. [….] Les sanctions , l’intimidation
ne suffisent plus à nous donner le plein de l’effort de nos
hommes. Elles obtiennent des résultats apparent, mais elles amassent
des rancunes, des colères qui, un jour, infailliblement explosent. »
Le
capitaine Lebeau est désorienté et ne sait que faire. Ses doutes et
ses interrogations sont ceux de tous les officiers qui ont été
confrontés à cette situation :
« Un
dur combat se livre en moi. S’ils veulent partir, comment les en
empêcher ? Tirer, en tuer un, en tuer dix et après ?
Douloureusement je pense : tu iras vers eux, tu leur parleras du
déshonneur qui va entacher le drapeau du régiment. Tu leur
demanderas de te tuer avant de partir. S’ils ne le font pas, tu te
tueras devant eux. Peut-être alors réfléchiront-ils ?
Ceux
qui ont participé aux pelotons d’exécution sont les plus choqués.
Le chasseur Arnould Paul du 60e BCP raconte
comment il a été choisi :
« Hier
matin on a fait appeler au bureau les douze meilleurs tireurs, moi
j’étais dans le nombre. Seulement on ne savait pas pourquoi
c’était faire. »
Après
l’exécution, ce qu’il a ressenti :
« L’émotion
était tellement forte chez moi que je n’ai pu manger de la
journée. Ce n’était pas leur mort qui me faisait le plus puisque
j’en vois tous les jours aux tranchées, mais c’était la chose
d’avoir tiré dessus, tirer sur les pauvres copains que je
connaissais depuis deux ans que je suis au bataillon. Il y en a même
qui sont tombés fous aussitôt qu’ils ont tiré. Crois-tu que
c’est pas triste de voir des choses pareilles, c’est honteux. »
Le
soldat Emile Muyard, qui a aussi participé à un des pelotons
d’exécution, ne cache pas son sentiment de culpabilité :
« [….]
et puis c’est moi ma chère Lucie et d’autres camarades qui ont
été commandés pour faire cette triste affaire. Tu peux penser si
j’en ai encore le cœur gros, moi père de famille obligé de tirer
sur un enfant, mais tu sais je suis soldat, que moi aussi j’ai une
femme et des petits enfants que j’aime, et c’est pour eux que
j’ai fait cette triste affaire car l’on me ferait à moi-même ce
que l’on ferait à d’autres, mais c’est cette maudite guerre
qui est la cause de tout. »
Ce
même sentiment de culpabilité est la cause du malaise d’un des
soldats du peloton d’exécution évoqué par le soldat Semon, 97e
RI 12e compagnie :
« Il
y en a un qui faisait partie du peloton qui est tombé en tirant son
coup de fusil et qui est resté malade. Il ne voulait pas qu’on lui
parle. Il disait : « laissez-moi, je suis un assassin. »
629
condamnations à mort ont été prononcées entre le 16 avril 1917 et
le 28 janvier 1918, 75 exécutions ont eu lieu dont 27 pour actes
collectifs. Les morts s’appelaient Marcel, Gustave, Louis, Alphonse
ou Henri. Ils avaient 20, 39, 25, 27 ou 22 ans. Ils étaient
cultivateur, mineur, domestique, meunier, journalier, blanchisseur,
et étaient célibataires, mariés, sans enfants ou pères de
familles.
Introduction
du livre « La grève des tranchées », de Denis Rolland
« Je
me suis laissé dire qu’après la guerre les fusillés avaient été
considérés comme « Morts pour la France », ce qui
serait une sorte de réhabilitation. Je ne sais si cela est exact,
mais quant à moi, je crois sincèrement que beaucoup de ces
malheureux sont effectivement morts pour le pays, car c’est la
France qui les a appelés et c’est pour elle qu’ils se sont
battus, qu’ils ont souffert là où les menait leur tragique
destinée et ce n’est pas un moment de défaillance physique ou
morale qui peut effacer leur sacrifice. J’ose m’incliner devant
leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition qu’il soit passé
par là. » Louis Leleu, brancardier. »
et
la chanson de Craonne…..