samedi 12 septembre 2020

Lettre ouverte de la Fédération Nationale de la Libre Pensée au Président de la République (10/09/2020)

 

Gambetta proclamant la république le 4/09/1870 à l'Hotel de  Ville de Paris
(Le Monde illustré de 1870-dessin de Daudenard)

 



Monsieur le Président,


Lors de votre venue au Panthéon le 4 septembre 2020, vous avez prononcé un discours contre le « séparatisme » qui voulait faire date. Mais la date que vous avez choisie est bien éclairante à elle seule.

Vous avez déclaré que l’Histoire de France « est un bloc » et, par ailleurs, vous avez omis de rappeler le fait que la République a été fondée le 22 septembre 1792, après la bataille de Valmy où les armées révolutionnaires infligèrent une défaite à l’Europe déjà coalisée contre la démocratie.


La République a 228 ans et non 150 ans



Dans votre discours vous avez donc soigneusement et délibérément occulté la Première République, puis la Seconde République. Il se trouve que ces deux républiques ont aboli l’esclavage et reconnu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Maximilien Robespierre condamnait les « missionnaires armés » qui allaient chercher de nouveaux profits à la pointe de leurs baïonnettes. Dans le bilan comparé des républiques, ce n’est pourtant pas rien.
•Vous avez choisi la IIIe République qui fut aussi une république coloniale et colonialiste, celle qui poursuivit la conquête et l’occupation de l’Algérie. Serait-ce pour faire oublier qu’en 1962, le peuple algérien a fait preuve d’un grand « séparatisme » en disposant de lui-même et en arrachant de hautes luttes son indépendance ? Qu’y a-t-il de plus « séparatiste » que l’indépendance des peuples et le démantèlement des Empires coloniaux ?
•Serait-ce aussi pour faire oublier que les peuples d’Indochine, eux aussi subissant le joug colonial de la IIIe République, firent preuve aussi de « séparatisme » en luttant et obtenant leur indépendance ?
•Serait-ce aussi pour faire oublier que le peuple malgache obtint, par voie de « séparatisme » son indépendance en 1960 ? Et aussi que beaucoup de peuples africains se « séparèrent » de la République française qui les oppressait.

Votre choix de Président de la République a renié l’œuvre de la Révolution française qui, elle, était un bloc selon l’expression de Georges Clemenceau. C’est donc une opposition « bloc contre bloc », nous n’avons visiblement pas fait le même choix dans cette opposition. Il est assez curieux, voire amusant, qu’en tant qu’auteur d‘un ouvrage intitulé « Révolution », vous effaciez à ce point la Grande révolution. Vous auriez dû intituler votre livre « Contre-Révolution », cela aurait été plus conforme à son contenu. Votre « République » n’est visiblement pas celle de Léon Gambetta, d’Auguste Blanqui, de Jules Vallès, mais plutôt celle d’Adolphe Thiers, massacreur de la Commune de Paris.

 

Les mots ont-ils un sens ?

 


Nous avons extrait de votre discours panthéonesque ces trois phrases : « La République indivisible n’admet aucune aventure séparatiste… Dans certains endroits de notre République, il y a un séparatisme qui s’est installé, c’est-à-dire la volonté de ne pas vivre ensemble, de ne plus être dans la République et ce au nom d’une religion, l’Islam en la dévoyant… Le séparatisme, c’est quand, au nom d’une religion de telle ou telle influence extérieure, on dit : Je ne respecte plus les lois de la République. »

Il existe plusieurs domaines où le « séparatisme » fait loi dans ce pays. Des millions d’élèves sont dans l’enseignement catholique privée « séparés » de la jeunesse du pays, au nom d’un principe religieux : « le caractère propre catholique ». Cet enseignement « séparatiste » est largement subventionné sur les fonds publics.

Pourquoi admettre que l’argent de tous serve à financer l’école « séparée » de quelques-uns ? Ce n’est pas une conception différente sur les mathématiques, l’algèbre ou l’orthographe qui « justifie » cet enseignement « séparé ». Non, c’est la volonté affirmée que l’enseignement catholique est partie intégrante de l’œuvre d‘évangélisation catholique. C’est donc un précepte religieux fait au nom d’une religion.

« L’Enseignement catholique est d’abord confessionnel » comme l’a déclaré le cardinal-archevêque André Vingt-Trois à la veille de l’adoption par l’assemblée plénière de la Conférence des évêques de France du Statut de l’enseignement catholique en France, dont le préambule indique : « Les dispositions du présent Statut déterminent les règles et principes qui s’appliquent aux écoles appartenant à l’Enseignement catholique en France et aux instances et institutions dont ces écoles sont dotées pour gérer de façon harmonieuse leurs relations et intérêts. »

Ce Statut, avec ses 386 articles, constitue la loi organique de l’Enseignement catholique en France, déclinant dans toutes ses dispositions le Code de droit canonique sur l’Education catholique.

Citons quelques articles édifiants de ce Statut qui se passent de tout commentaire :



Art. 8 : « Aujourd’hui comme hier, l’Église catholique est engagée dans le service de l’éducation. Elle accomplit ainsi la mission qu’elle a reçue du Christ : travailler à faire connaître la Bonne Nouvelle du Salut… »

Art. 17 : « Le caractère ecclésial de l’école est inscrit au cœur même de son identité d’institution scolaire » Cette particularité « pénètre et façonne chaque instant de son action éducative, partie fondamentale de son identité même et point focal de sa mission ».

Art. 21 : Le projet éducatif est le garant de l’unité de l’école, de la communauté qui la constitue et de sa mission. Cet impératif d’unité commande que, dans chaque projet éducatif, on ne fasse pas « de séparation entre le temps d’apprentissage et les temps d’éducation, entre les temps de la connaissance et les temps de la sagesse. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir, mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir. [...] Dans la perspective d’un tel projet éducatif chrétien, toutes les disciplines doivent collaborer, de leur savoir spécifique propre, à la construction de personnalités en possession de leur maturité ».

Art. 23 : L’Évangile est la référence constante des projets éducatifs, car « c’est le Christ qui est [...] le fondement du projet éducatif de l’école catholique ».

Art. 41 : Une école au service du projet de Dieu : « L’Église poursuit l’œuvre du Seigneur par l’annonce de la Bonne Nouvelle qui est Jésus-Christ lui-même. C’est dans cette Église que s’inscrit et se comprend l’école catholique : la préoccupation éducative qu’elle porte, et avec elle le souci de la proposition et de l’annonce de la foi, est celle de l’ensemble de la communauté ecclésiale, dans laquelle elle trouve force et soutien. »

Faudrait-il croire que ce que vous estimez insupportable pour l'Islam, est accepté et même subventionné par l'Etat,

quand il s'agit du catholicisme ?

 


Les ministres de votre gouvernement viennent d’annoncer au Parisien « qu’ils veulent inscrire dans la loi la création d’un contrat d’engagement sur la laïcité : « Nous ne voulons plus un euro d’argent public aux associations qui sont les ennemies de la République.. Les associations qui bafouent les valeurs de la République seront privées de subventions ».

On nous indique qu’il va falloir signer une « Charte de la Laïcité » pour obtenir des subventions publiques. Allez-vous supprimer les 12 milliards versés chaque année à l’enseignement catholique privé, un enseignement « séparatiste », car il n’a jamais signé une quelconque « Charte de la Laïcité ou de valeurs républicaines » et supprimer cet enseignement « séparatiste » ? Au contraire, vous avez augmenté son financement public par l’Etat et les collectivités territoriales avec la scolarité obligatoire à partir de 3 ans !

Faut-il donc être d’accord avec vous pour percevoir des subventions publiques ? Si la Fédération nationale de la Libre Pensée s’honore de ne pas percevoir un centime d‘euro de fonds publics, pour autant nous ne saurions accepter cette dictature de l’argent et par l’argent qui est si bien la marque de ce régime.

Il faudrait donc partager votre Credo pour toucher des fonds publics ?

Exit les royalistes qui ne partagent pas les « valeurs de la République »…
Exit les libertaires qui n’aiment ni la monarchie, ni la république…
Exit les partisans du socialisme qui veulent une république sociale et pas bourgeoise…
Exit les partisans du refus de l’Etat…

Vous ne réviserez peut-être pas directement la Grande loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat qui garantit la liberté de conscience pour tous, mais vous la videz entièrement de son contenu en interdisant la liberté de conscience et la liberté de l’exprimer.

N’autoriser, en les favorisant et en excluant tous les autres, que ceux qui partagent votre avis, ceci est la marque des dictateurs, pas des démocrates. Comme disait Rosa Luxembourg : « La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement ». Visiblement, vous ne partagez pas ce point de vue de cette militante révolutionnaire qui a payé de sa vie la fidélité à ses idées et à sa conscience.

 

C’est un coup d’Etat à froid contre les libertés démocratiques

et la loi de 1901 sur les associations

 


Il y a cependant fort à parier que ce projet réactionnaire ne passera pas la barre trente secondes devant le Conseil constitutionnel et d’autres juridictions, tant il est contraire, lui, aux principes de la Révolution, du Droit et de la République. Il ne suffit pas d’avoir « une majorité » à l’Assemblée nationale (majorité qui s’étiole chaque jour davantage), vous allez vous apercevoir qu’il y a aussi encore des contre-pouvoirs dans ce pays.


Examinons d’autres questions


♦ La note doctrinale de la Congrégation de la Foi du 21/11/2002 qui est le guide de l'Eglise catholique pour l'action politique et sociale stipule , comme « consignes » du Vatican, ceci :
"La conscience chrétienne bien formée ne permet à personne d’encourager par son vote la mise en œuvre d’un programme politique ou d’une loi dans lesquels le contenu fondamental de la Foi et de la morale serait évincé par la présentation de propositions différentes de ce contenu ou opposées à lui" : Ce qui veut dire que le dogme chrétien est au-dessus des lois des hommes : bel exemple de séparatisme.
Qu’allez-vous faire monsieur le Président ?
♦ Des médecins peuvent refuser de pratiquer des IVG au nom de leurs conceptions religieuses. Cette « clause de conscience » qui a souvent des origines religieuses dit : « La clause de conscience, c’est (…) le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi, mais que (le médecin) estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. » N’est-on pas là directement dans ce que vous avez déclaré au Panthéon : « Le séparatisme, c’est quand, au nom d’une religion de telle ou telle influence extérieure, on dit : Je ne respecte plus les lois de la République ».
♦ En Alsace-Moselle, au nom des religions « venues de l’extérieur » de la Rpéublique, la laïcité ne s’applique pas. C’est l’existence du Concordat qui bafoue la liberté de conscience des Alsaciens-Mosellans et qui remet en cause l’égalité des citoyens devant la loi en « reconnaissant » quatre cultes, comme au temps du Premier Empire. Qu’y a-t-il de plus contraires aux « valeurs de la République » que la survivance d’un Empire qui s’est institué sur les décombres de la Première République ? Allez-vous supprimer les salaires des religieux payés comme des fonctionnaires au mépris de la laïcité et supprimer le Concordat, institution éminemment « séparatiste » de la République française et laïque?
♦ Au nom du Droit canon, les baptisés de force durant leur enfance ne peuvent voir supprimer leur appartenance à la religion catholique. On peut exiger au nom de la RGPD de voir disparaître toute appartenance passée à une association, parti, syndicat, Obédience maçonnique ; mais ceci est impossible pour les registres paroissiaux catholiques. Pourquoi cette exclusive basée sur un principe religieux au mépris de l’égalité des citoyens devant la loi ?

Dans ces quatre cas, les lois de la République ne s’appliquent pas pour tous et l’égalité des droits est bafouée. Allez-vous faire appliquer la loi républicaine contre ces séparatismes ?

The last, but not the least

 


Dans d’autres déclarations gouvernementales, il est indiqué que les imans devront être formés en France et que les prêches devront être faits en français. Nous qui sommes nostalgiques de Georges Brassens et de son fameux « La messe sans le latin nous emmerde », il ne nous ennuie nullement que des sermons soient fait dans la langue d’origine d’une religion et comprise par tous ses coreligionnaires. Il en faut pour tous les goûts.

Allez-vous exiger que tous les religieux catholiques soient formés en France et ainsi tarir la source qui permet à des prêtres étrangers de venir exercer leurs ministères en France ? Allez-vous interdire aux futurs prélats d’aller se former au Vatican ? Allez-vous interdire les pasteurs évangéliques en France et que leurs prêches ne soient plus en africain ou en créole ?

Ou allez-vous vous en prendre, une nouvelle fois, aux musulmans, comme au « bon vieux temps » de la Guerre d’Algérie ? Il semble que poser la question, c’est y répondre. Tout ce discours, ce projet de loi, ces prétentions, ne sont que le masque honteux de la plus pure xénophobie, instrumentalisée pour caporaliser la société et susciter des divisions pour atteindre vos objectifs politiques.

Monsieur le Président,

Vous comprendrez aisément que la Libre Pensée ne puisse se reconnaitre dans votre discours au Panthéon et qu’elle en appelle à tous les laïques, et les démocrates pour faire échec à ces projets réactionnaires.

Veuillez agréer l’expression de notre sincère attachement à la liberté de conscience et à l’égalité des citoyens devant la loi.

 

La Libre Pensée , le 10 septembre 2020