Il n’est pas Charlie, nous non plus…
Ce
livre a défrayé la chronique et effrayé toute la bien- pensance des
bobos adeptes de la Troïka. Rien que leur ire justifierait de lire cet
ouvrage. L’auteur est préoccupé, le mot est faible, par ce qu’il appelle
la montée de l’antisémitisme, préoccupation qui est sa grille de
lecture principale de la situation.
Il
publie un certain nombre de cartes sociologiques (pratiques
religieuses, vote du serment de la Constitution civile du clergé,
égalité dans les structures familiales, etc..) qui sont assez
éclairantes sur la structure du pays. Il note que la France, c’est
globalement 2/3 d’anarchie et 1/3 de hiérarchie (catholique). En clair,
il y a cohabitation de phénomènes totalement contradictoires, mais c’est
bien normal dans un pays multiséculaire.
En analysant le phénomène « Je suis Charlie » et la manifestation du 11 janvier, il met certaines pendules à l’heure. Il constate que c’est « le gouvernement qui a convoqué les foules », en clair qu’il s’agit d‘une manipulation politique. Le « Je suis Charlie », c’est surtout le « Je suisFrançais ». Et les foules en liesse aiment la police, l’armée et donc le pouvoir (entendez le gouvernement)…
« C’est
bien un idéal de hiérarchie qui avait mené à Maastricht, et qui nous
gouverne toujours, ancré dans les valeurs d’autorité et d’inégalité. Il
nous vient du catholicisme et de Vichy, plus que de la Révolution. » Emmanuel Todd considère comme absurde la revendication « charlienne »
du droit au blasphème. En ce sens, il rejoint la position de la Libre
Pensée qui considère que le blasphème est une conception religieuse et
que les libres penseurs ne peuvent accréditer qu’il existe. D’ailleurs,
l’auteur cite en référence plusieurs fois la libre pensée comme
revendication philosophique.
« Des
millions de français se sont précipités dans les rues pour définir
comme besoin prioritaire de leur société le droit de cracher sur la
religion des plus faibles ». « Comme les juifs européens vers
1930, les musulmans de France n’existent pas. La catégorie religieuse
est posée comme dénominateur commun d’un ensemble d’hommes et de femmes
qui appartiennent à des groupes différents, par l’origine nationale, le
niveau éducatif, le métier et la classe sociale, le degré et le type de
pratique religieuse. Coller sur cette diversité humaine l’étiquette
« musulman » est, tout simplement, un acte raciste, comme poser
l’étiquette commune « juif » sur l’intellectuel bourgeois de Vienne et
le juif du shtetl de Pologne fut un acte raciste ».
Il règle son sort au Parti Socialiste qui est « objectivement » xénophobe, alors que le Front national l’est « subjectivement ». « Il
est de l’ordre de l’évidence absolue, pour une intelligence normale,
qu’une politique économique calquée sur celle de l’Allemagne, pays qui
produit proportionnellement 35% d’enfants de moins que la France,
condamne une proportion élevée de jeunes Français au chômage. C’est une
évidence supplémentaire que les jeunes les moins bien raccordés au
système national de privilèges, enfants des derniers arrivés,
subissent plus que les autres, les effets délétères de cette politique.
Autrement dit, si le Parti Socialiste parle d’intégration, il a choisi,
par sa politique économique, de réaliser la ségrégation. »
L’auteur est logique avec lui-même, il éprouve une profonde aversion pour la CFDT.
Il considère que l’entrée massive des catholiques dans le PS l’a
déporté à droite. Il se prononce clairement pour une rupture avec
l’Union européenne, le retour à un Etat-Nation maître de lui-même et de
sa destinée. On comprend que les maastrichtiens de droite comme de
gauche aient poussé des cris d’orfraies contre son livre. Raison
supplémentaire de nous le rendre sympathique.
Cet ouvrage est le premier pas d’une critique plus générale qui va balayer « l’esprit du 11 janvier ».
On peut ne pas être d’accord sur tout ce qu’affirme l’auteur, mais cet
ouvrage ne mérite ni un excès d’indignité, ni un excès d’honneur. Il n’a
pour but que d’alimenter la réflexion de chacun. Ce n’est déjà pas si
mal.
Christian Eyschen
Qui est Charlie ?Sociologie d’une crise religieuse par Emmanuel Todd – Editions du Seuil – 248 pages – 18€